Le Clocher et les Cloches
Après les fêtes de la bénédiction
Les clochers de la Cathédrale
Les travaux continuèrent après les fêtes que nous venons de raconter et la Cathédrale prit bientôt cet aspect monumental que nous lui voyons. Il avait été question d’établir des flèches sur les clochers, et nous avons des photographies de plans où elles sont dessinées. Mais la difficulté de l’entreprise, et surtout la prévision de cyclones ont fait ajourner sine die cette construction. Elle a été remplacée par une balustrade de pierres taillées, qui est du plus heureux effet et donne aux deux tours de la Cathédrale un cachet de robustesse qu’une flèche eût enlevé. Les quatre petits clochetons qui surmontent les angles rompent la monotonie de la balustrade et font de l’ensemble une œuvre qui plaît par son harmonie et ses proportions. À les voir surtout, de la rue Frédéric Surleau qui passe au pied de l’esplanade, ces tours paraissent très hautes. Elles le sont beaucoup moins qu’on ne le croit, car elles n’ont que 25,75m, mais elles profitent de leur situation élevée.
La tour Nord-Ouest a été réservée pour un bourdon, qui viendra Dieu sait quand. Au bas se trouve le baptistère. Dans la tour Sud-Ouest se trouvent les trois cloches, dont il sera parlé plus tard, et l’escalier en colimaçon qui permet d’accéder à la tribune.
L’ornementation de l’église
En même temps que se poursuivait l’achèvement du gros œuvre de la maçonnerie de la Cathédrale le Père Pionnier complétait et meublait l’église pour en faire une véritable maison de prière.
Or, dans les églises catholiques on voit des images pieuses. Elles servent à orner, à instruire les ignorants, à exciter la dévotion des fidèles. Le plus petit des enfants catholiques sait que ces images ne doivent pas être adorées : ce serait un grand péché d’idolâtrie, mais il sait aussi que lorsqu’on prie devant elles, l’honneur que nous leur rendons se rapporte aux Saints représentés par ces images, lesquels, en tant qu’amis de Dieu, peuvent implorer pour nous les grâces dont nous avons besoin.
Le Chemin de la Croix
Après les statues de la Ste Vierge et de St Joseph (ne faut-il pas que la mère soit auprès de son Fils ?) les images que l’on trouve dans toutes les églises sont celles du Chemin de la Croix.
C’est pourquoi, le 15 février 1861, au début du Carême, fut bénit et érigé solennellement, en présence d’une pieuse assemblée, le Chemin de la Croix de la Cathédrale.
Ce Chemin de la Croix est un don de M. Max Berthelin. Partant pour la France, à l’époque de l’exposition de 1889, il voulut profiter de son voyage pour rapporter une œuvre artistique.
Trouver à Paris, surtout dans la rue St-Sulpice où abondent les œuvres de ce genre, un Chemin de Croix quelconque, n’était pas le point difficile.
Sans s’arrêter un instant aux médiocrités nombreuses qui s’étalent aux yeux des passants, dans des cadres dorés, M Berthelin se mit aussitôt en relation avec notre grand peintre Meissonnier.
Meissonnier approuva l’idée de tirer une copie aussi fidèle que possible du Chemin de Croix possédé par la Cathédrale de Vienne (Autriche) ; à son avis il n’était pas possible de trouver mieux à reproduire.
Ce n’était pas assez d’avoir fait choix de l’œuvre si remarquable de Führich ; il restait encore le pont délicat : trouver une main assez habile pour reproduire avec talent la pensée du Maître.
Meissonnier voulut bien encore se charger de cette partie du programme, et, à notre humble avis, il ne pouvait mieux réussir. La vérité des situations, le naturel du maintien, l’expression des visages, l’harmonie et la douceur des tons, la scène principale toujours heureusement mise en relief par les personnages secondaires, font de la copie de l’œuvre de Führich un travail qui fait honneur à son auteur, et réclame pour le donateur de sincères et unanimes témoignages de gratitude.
Je pourrais citer plusieurs tableaux qui sont vraiment irréprochables à tout point de vue ; certains personnages sont de véritables types qu’on ne saurait plus oublier.
En un mot, si le connaisseur trouve à contenter son goût délicat et le sentiment du beau, l’âme chrétienne ne pourra que gagner à contempler, telles que les a rendu Führich, les scènes de la Passion du Sauveur.
Le baptême des cloches
Les cloches furent apportées gracieusement par le « Polynésien » pendant le Carême. On se mit aussitôt à l’œuvre pour qu’elles puissent sonner l’Alleluia pascal. La grosse charpente du beffroi qui repose sur les massifs corbeaux de pierre fut montée assez rapidement. Et le jour des Rameaux, 22 mars 1891 on put procéder à la bénédiction solennelle des trois cloches.
Une foule immense avait envahi l’esplanade de l’église. Chacun voulait admirer les belles cloches, revêtues de leurs blanches robes de baptisées. La cérémonie se déroula selon le rite ordinaire, avec les onctions saintes au-dedans et au dehors, qui font des cloches ainsi bénites des objets sacrés.
Mais on se demandait avec anxiété si elles pourraient chanter l’Alleluia au beau jour de la Résurrection. Le travail était considérable, il s’agissait de les monter dans le clocher. Pour les y faire entrer, on avait laissé grande ouverte la fenêtre géminée qui regarde le Quartier Latin. On n’avait pas bâti le meneau, c’est-à-dire la colonne de pierre qui sépare une fenêtre de l’autre. Par cette ouverture, qui à plus d’un mètre cinquante, les cloches passèrent facilement. Le travail fut dérangé par les giboulées de mars et le vent, mais la persévérance des ouvriers vint à bout de tout, et dès le soir du Jeudi Saint les cloches reposaient sur leurs coussinets. On employa le reste du temps à bien fixer, serrer, boulonner et, le matin du Samedi Saint, quand le prêtre à l’autel entonnait le Gloria, les cloches s’ébranlèrent et répandirent dans les airs leurs accords harmonieux.
La joie causée par les Cloches
De tous les objets consacrés au culte, ceux qui causent le plus d’émotion et produisent le plus de satisfaction, ce sont les cloches. On le vit bien à Nouméa le Samedi Saint de 1891, quand retentirent pour la première fois les sons harmonieux de nos trois cloches. Ce fut un moment vraiment grandiose.
Dans l’église, l’assistance était visiblement impressionnée - Dans la ville, l’émotion n’était pas moindre : on sortait de chez soi ; on tournait les regards vers les tours de l’édifice sacré : on suivait le mouvement des cloches qui se balançaient dans l’espace - ; tous - fidèles et non fidèles - écoutaient avec plaisir une voix qui leur rappelait les beaux jours passés dans la patrie. - On se croirait en France, disait l’un ; le son est aussi doux que celui des cloches de mon village, répondait l’autre ; notre bourdon est plus fort, reprenait un troisième.
C’est que la grande voix des cloches pénètre jusqu’à l’âme : tous aiment à l’entendre dans les joyeux carillons ; chacun sent son cœur se serrer, quand les cloches sanglotent sur un deuil.
La fête du 15 août 1892
Après le baptême et l’installation des cloches, il y eut dans l’ornementation de la Cathédrale ce que j’appellerais : une pause. Mais le jour de l’Assomption 1892, trois dons magnifiques, arrivés à point nommé, furent solennellement inaugurés et contribuèrent singulièrement à rehausser l’éclat de la fête : les grands chandeliers du maître-autel, le grand lustre et la statue de Notre-Dame des Flots placée sur la façade de l’église.
Les cloches
Dans la tour Sud-Est, trois belles cloches venant de la fonderie Burdin à Lyon, donnent un accord parfait majeur : mi, sol dièse, si.
- La première, dédiée au Sauveur du monde et destinée, en attendant mieux, à servir de bourdon, pèse 1.090 kilos. Elle porte à son cerceau l’inscription :
Christus perpetuae det nobis gaudia vitae, ce qui signifie
« Que le Christ nous donne à tous les joies de la vie éternelle »
Sur la robe richement ornée de dentelle de bronze, on voit, suivant l’usage, d’un côté les armoiries du Souverain Pontife et de l’autre celles de l’Évêque avec ces mots :
Leone XIII summo pontifice feliciter regnante ; et Hilar. Alph. Fraysse episcopo Abilensi.
« Au temps du Souverain Pontife, Léon XIII, heureusement régnant et de Mgr Alphonse Fraysse, évêque d’Abila ».
Dans l’intervalle laissé libre par ces deux blasons on voit d’un côté le Christ en croix, de l’autre l’effigie du Sacré Cœur.
Enfin, dans la partie inférieure sont burinés les noms du parrain et de la marraine dans les termes suivants :
Mon parrain fut Charles de la Salmonière ; et ma marraine fut Marie de la Salmonière.
- La seconde cloche, celle du dimanche, d’un poids de 538 kilos, porte cette inscription :
Ora pro populo, dum sono, Virgo pia ce qui signifie :
« Pendant que je sonne, priez pour votre peuple, Vierge bénie »
D’un côté, elle est ornée de l’effigie de la Mère de Dieu étendant les bras vers la terre ; de l’autre côté, on voit le blason de Mgr Douarre, le premier Vicaire Apostolique de la Nouvelle Calédonie, mort à Balade en 1853.
Au bord extrême de la robe on lit cette inscription : Guillaume Douarre, évêque d’Amata.
Au bas se lisent les noms du parrain et de la marraine :
Mon parrain fut Barthélémy Blanchot ; et ma marraine Marie Blanchot, T.O.M.
- La troisième cloche, qui sert en semaine, dédiée à Saint Joseph pèse 350 kilos et porte cette inscription :
Hac in laude tui resonet campanila, Joseph. Ce qui signifie:
« Cette petite cloche résonne en votre honneur, bon saint Joseph ».
Puis aussi le nom du parrain et de la marraine :
Mon parrain fut Joseph Brun ; et ma marraine Joséphine Betton, Vve Brun.
© Textes : Père Henri Boileau (1874-1966)
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