Les premiers travaux de construction
L’Administration Pénitentielle interprétant loyalement les termes de la dépêche ministérielle relative à la construction de l’église mît à la disposition du Comité un nombre suffisant d’ouvriers avec un piqueur expérimenté, Mr Armand, qui avait déjà construit l’église de Païta et le pont de la Dumbéa. Mr Carret, chef des travaux pénitentiels, avait bien voulu prêter aussi son concours, et, au moment d’aller prendre un congé en France, tracer les grandes lignes d’une magnifique église. Malheureusement les ressources beaucoup trop restreintes du Comité obligèrent à réduire les proportions de ce projet et à supprimer une partie des ornements qu’il comportait.
La bénédiction de la première pierre
Enfin le 8 avril 1888, tout était prêt pour la bénédiction de la première pierre. Le ciel avait laissé tomber les jours précédents de vrais torrents de pluies, ce qui avait obligé de renvoyer la cérémonie du jour de Pâques au dimanche suivant. Pendant la matinée le temps avait été fort mauvais : il était difficile de circuler dans les rues transformées par la pluie en ruisseaux boueux ; la cérémonie déjà renvoyée une première fois allait-elle donc l’être une seconde fois encore ?… Tout à coup une forte brise dissipe les nuages qui assombrissent l’horizon, le ciel se dégage et le soleil apparaît pour égayer la fête.
Une foule nombreuse accourue de tous les points de la ville gravit les rampes du Cap Horn et se répande sur le plateau où doit avoir lieu la cérémonie : sur la tribune d’honneur avaient pris place les principales autorités de la Colonie et de nombreux officiers des navires de guerre présents sur notre rade, Mgr le Vicaire Apostolique, empêché par un malencontreux accident, avait délégué pour le suppléer dans cette solennelle circonstance le R.P. Pionnier, son pro vicaire, qu’entourèrent les plus anciens missionnaires du Vicariat.
La construction
La première pierre bénite, - cette pierre se trouve sous la colonne qui est au bout de la table de communion, du côté de l’Évangile - les travaux marchèrent rondement. Non seulement l’église sortit de ses fondations, mais même le presbytère actuel était achevé dans les premiers jours de 1889. On avait pensé, et non sans raison, que l’installation des divers ateliers de charpente de menuiserie, de ferblanterie, même de dessin exigeant un local assez considérable, il était plus pratique et beaucoup moins coûteux de construire un véritable bâtiment, qui ensuite servirait de Cure, plutôt que de faire du provisoire, lequel revient toujours très cher. D’autre part, il arriva à plusieurs reprises, que les maçons furent arrêtés dans la construction, par le manque de pierres taillées ; faire les dépendances de l’église, c’était un excellent moyen d’utiliser sagement la main-d’œuvre.
À la même époque - commencement de 1889 - les murs de l’église atteignaient près de 4 mètres de hauteur. On pouvait espérer l’achèvement de l’église pour la fin de l’année courante, mais il y a danger à construire trop vite un bâtiment de pierres, car il faut un tassement, que le temps seul peut produire. Du reste bien des questions s’agitèrent, et il y eut même des modifications apportées au plan primitif. On se préoccupa de la force de résistance que l’église devait opposer, tant à la poussée des voûtes et au poids de la charpente, qu’à l’effort des coups de vent.
Pour cela, on réduisit la hauteur des murailles qui tout d’abord devaient monter à 12 mètres ; elles n’auraient plus que 9 mètres, mais elles auront la même épaisseur, ou presque, jusqu’au sommet. De plus les colonnes intérieures de l’église, qui ne devaient être que de simples pilastres, seront montées en moellons, faisant corps avec la muraille et présenteront ainsi une forte saillie qui s’ajoutera à l’épaisseur des murs et des contreforts.
Dans ces conditions, la bâtisse actuelle a de distance en distances une épaisseur de 1m50. Les nervures de la voûte et les pièces de la charpente ont un appui considérable et les murs une force largement suffisante de résistance à la poussée et de la toiture et du vent.
L’intervention du R.P. Vigouroux
On avait envisagé aussi la possibilité d’une charpente de fer. Mais, renseignements pris, il fut constaté que, vu les conditions dans lesquelles se faisait l’église, une charpente de fer serait deux fois plus chère qu’une charpente de bois.
Du reste le R.P. Vigouroux apportait le plan d’un nouveau système de voûte, dans lequel les nervures, bien qu’en bois, ont la légèreté et la robustesse du fer. Il avait vu ce système employé dans l’Amérique du Sud, lors de sa venue en Calédonie. C’est celui qu’il employa dans la voûte de l’église de Saint Louis qu’il bâtit ; c’est celui qu’il préconisa pour Nouméa et qui fut adopté.
Ces nervures consistent en une série de lames de bois de 3 centimètres d’épaisseur et de la largeur voulue. Toutes ces lames courbées, l’une après l’autre, grâce à des pieux de fer solidement plantés, sont ensuite maintenues dans leur courbe par une série de boulons, qui les unissent à ce point qu’elles paraissent ne former qu’une seule pièce de bois. En les examinant de près, on voit très bien et les différentes lames et la place des boulons. Ce système donne à l’ensemble une souplesse et une force remarquables. Dans les moments de grand vent, on entend, dans la Cathédrale, le grincement de la charpente, c’est le jeu de ces lames qui s’inclinent sous la rafale et reprennent leur première position.
Les intervalles des nervures furent ensuite garnis de voliges de kaori, peintes d’un gris-pierre.
La toiture
L’intervention du Père Vigouroux fut aussi prépondérante dans la question de la toiture. D’aucuns voulaient, parce que cela est plus décoratif, que les chéneaux fussent placés sur les murs et qu’un motif de maçonnerie masquât une partie de la toiture. Assurément le coup d’œil y eût gagné. Mais l’expérience atteste que ce système ne vaut rien dans les pays tropicaux où la dilatation du métal est très grande. Peu à peu les soudures craquent et l’eau au lieu d’être rejetée au dehors pénètre dans les murs et les désagrègent. Le R.P. Vigouroux par son énergique intervention fit adopter son opinion.
La bénédiction de l’église
Nous sommes en octobre 1890 : il y a deux ans et demi que la première pierre de notre Cathédrale a été bénite. Sans doute la façade est inachevée et les clochers dépassent à peine la toiture, mais le gros œuvre est suffisamment terminé, pour que l’église puisse être livrée au culte. Il est décidé qu’elle sera bénite le dimanche 26 octobre, fête de la Présentation de la Sainte Vierge, et qu’elle sera solennellement inaugurée par les grandes cérémonies de la fête de la Toussaint.
Les chroniques du temps nous parlent avec enthousiasme de l’élan magnifique que suscita alors cette grande inauguration de la Cathédrale.
Le P. Montrouzier, qui 35 ans auparavant, avait célébré sous un niaouli la première messe dite à Nouméa, fut délégué par Mgr Fraysse, pour procéder à la bénédiction liturgique de la nouvelle église.
Pendant plus d’un mois des mains habiles et délicates avaient travaillé activement à la décoration intérieure de l’église. On ne pouvait guère entrer dans une maison de la ville, sans y rencontrer en cours d’exécution de gracieuses oriflammes, supporté par un cartouche sur lequel se détachait le monogramme des saints représentés dans les verrières. Des maximes, des devises empruntées à la vie de ces personnages et richement brodées complétaient ce décor vraiment triomphal : c’était comme un aperçu du ciel sur la terre.
La Toussaint 1890 dans la nouvelle église
Autant la fête du dimanche 26 avait eu un caractère intime, autant celle de la Toussaint devait être solennelle car c’était le jour de l’inauguration officielle de la Cathédrale.
Plus d’une heure avant la cérémonie, la vaste enceinte de l’église se trouvait littéralement envahie : plusieurs personnes durent rester dehors. Des places avaient été réservées aux autorités : le Chef de la Colonie, Mr Noël Pardon, se trouvait à leur tête environné de son Conseil Privé au complet. Le corps consulaire, des officiers de toutes armes, les membres de la magistrature et du Commissariat, des représentants du Conseil Général et du Conseil Municipal, enfin les membres du Comité chargé de la construction de l’église se trouvaient groupés au haut de la nef.
Soudain l’humble et unique petite cloche de l’ancienne église, qui est venue demander asile pour la circonstance dans les charpentes du clocher, annonce, avec le commencement de la cérémonie, l’arrivée de Mgr le Vicaire Apostolique qui est reçu sous le porche par tout le clergé.
Cette petite cloche qui pèse 80 kilos et est actuellement placée près de la porte de la sacristie où elle sert à appeler les Pères au confessionnal, cette petite cloche a son histoire. Elle a été fondue à Cherbourg, en présence du roi Louis XVI, lorsqu’en 1786, il y vint pour inaugurer les travaux du port militaire. C’est pourquoi sa robe est toute clairsemée de fleurs de lys. Apportée à Nouméa par un des premiers transports, elle fut donnée au Curé de Nouméa pour appeler les fidèles aux offices.
Dès l’entrée de Monseigneur, des voix pleines de fraîcheur chantent l’antienne liturgique : Ecce sacerdos.
Bientôt la messe solennelle commence ; pour la première fois un chœur de voix puissantes fait entendre sous les voûtes de la nouvelle église les chants du Kyrie, du Gloria, du Credo annotés par Dumont. Des indigènes invités pour la circonstance étaient arrivés de l’Île des Pins, de Lifou, de St-Louis, et de la Conception : pour la première fois Nouméa voyait un office divin réellement grandiose : il serait difficile de rencontrer en Calédonie un lutrin mieux composé et d’entendre des chants religieux interprétés avec plus d’ampleur et d’harmonie.
À propos d’une telle solennité, il y aurait tant à dire que l’on risque toujours d’oublier quelque chose ; hâtons-nous d’ajouter qu’aux mâles voix calédoniennes succédaient régulièrement les voix suaves des jeunes filles du Pensionnat de la Conception, de l’École Libre et de l’Orphelinat qui exécutèrent de beaux morceaux de musique religieuse.
Les enfants de chœur choisis dans les meilleures familles de la ville exécutèrent fort bien des cérémonies entièrement nouvelles pour eux.
Le Sermon de l’Évêque
Aux Fêtes de l’inauguration officielle de l’église
Après l’Évangile, Mgr Fraysse du haut de son trône, pour avoir tout son auditoire en face de lui, la crosse à la main et la mitre en tête, prit la parole et parla comme un véritable Pasteur de la sainte Église.
Après avoir dit quelques mots sur la demeure invisible de Dieu dans nos âmes, il parla de sa demeure visible parmi les hommes. Il fit l’histoire du temps chrétien aux différents siècles : et pendant les persécutions sanglantes et aux temps de prospérité. Puis après avoir raconté brièvement l’histoire de la Cathédrale inaugurée ce jour-là, il rappela à tous les chrétiens leur devoir par rapport à l’église. Elle est la maison de Dieu, notre commun Père et Créateur, la véritable maison de famille : quel que soit leur rang dans la société, tous les chrétiens ont le droit et le devoir d’y venir adorer Dieu et de l’y prier : elle est le bien de tous, il faut l’entretenir ; elle est le rendez-vous de nos meilleurs souvenirs, il faut l’aimer ; elle est le centre de la vie catholique, il faut la fortifier. Ces magistrales paroles furent écoutées avec attention.
À l’office du soir, le Père P. Pionnier expliqua à l’assistance qu’un objet d’art même religieux devait recevoir la bénédiction de l’église, puis Mgr Fraysse bénit les statues de St Joseph qui domine le sanctuaire, de la Ste Vierge, donnée par Melle Blanchot, et de St Antoine de Padoue.
La fête de St Austremoine en 1890
Le lendemain était un dimanche. La Calédonie célébrait la fête de St Austremoine, son patron. Le P. Lambert, ancien curé de Nouméa, officia à la grand’messe et le P. Rigard, chef de la Maîtrise qui s’était si bien distinguée la veille, inaugura la chaire. Dans un magnifique tableau, il montra le progrès de la foi en Calédonie, puis retraça d’une façon saisissante l’étroite union qui, au début de la mission et à la première apparition du drapeau français existait au profit de l’une et de l’autre entre la croix et l’épée.
Le Jour des Morts de 1890
Le lendemain, 3 novembre, était le Jour des Morts.
À la messe chantée par le Père Pionnier, le sanctuaire tout tendu de noir offrait un aspect des plus grandioses et des plus sévères. Une maison de commerce de Nouméa avait fait don des tentures et du riche poêle de velours noir qui recouvrait le catafalque.
Il appartenait au Père Lambert de prendre la parole. Pendant un séjour de trente-cinq ans, il avait été le témoin de nombreuses catastrophes et de douloureuses séparations. Sa parole émue alla droit au cœur de l’immense foule qui remplissait l’église et bien des larmes coulèrent à l’occasion des souvenirs rappelés.
C’est sur cette pensée de la prière pour les morts que se terminèrent les fêtes de l’inauguration solennelle de notre Cathédrale. Commencée au jour de triomphe de l’Église du ciel, elles se terminaient au jour de la prière des Morts. Ainsi se trouvaient réunies les trois grandes divisions de la Sainte Église de Dieu, qui combat sur la terre, souffre au Purgatoire et triomphe dans le ciel.
© Textes : Père Henri Boileau (1874-1966)
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